Céline
Luchet
Rédactrice,
auteur
et un peu critique
Masque de fer, fantôme du Paradis
Née de la requalification d'une ancienne école catholique de Tourcoing en logements sociaux, la résidence Winoc-Chocqueel est complétée par la construction de l'ancienne dent creuse voisine. Dans cette longue rue étroite, non plantée, presque intégralement composée de maisons en rang, la résidence surprend par le traitement de la façade de la nouvelle construction. Au-dessus du rez-de-chaussée – où un porche donne sur l’ancienne cour d’école transformée en parking – elle est habillée d’un masque métallique aux multiples facettes, qui s’élève jusqu’au chéneau de l’ancienne école. Cette ambitieuse reconversion se distingue par deux volontés : créer un évènement architectural et refuser de se dispenser du superflu.
« Il y avait deux cent trente avions, les ailes étalées, empennés comme des créatures des grands fonds, certains peints en partie, parfois presque terminés, beaucoup pas encore touchés par les pistolets à peinture, et ceux-là étaient d'un gris de cuirassé ou couverts de camouflage délavé, ou décapé jusqu'au métal nu.
Les appareils peints accrochaient la lumière et la pulsation du soleil. Balayages de couleur, bandes et éclaboussures, badigeons aérés, force de la lumière intense – le tout étrangement personnel, le sentiment d'une main de peintre guidée par l'impulsion et la réflexion après-coup aussi bien que par une impulsion épique. »
Don DeLillo, Outremonde, Acte Sud, p. 93
Faire déborder le vide
Véritable composition plastique, la nouvelle construction contraste avec le rigorisme de l’ancienne école religieuse. Réalisée en métal déployé laqué, sa façade est un assemblage de triangles de dimensions variées, pensé comme une surface continue. Elle vient se poser à partir du premier niveau, légèrement en débord par rapport à l’alignement des constructions voisines.
Modélisée comme par repentir, elle évoque un papier chiffonné puis lissé du plat de la main, dont les plis restent toujours visibles - sur un papier uni, les facettes ainsi créées paraissent de couleurs différentes. De par son maillage, le matériau réfléchit la lumière différemment selon son orientation, pour une impression de volume encore plus importante. Les trois teintes de laque utilisées renforcent l’effet de profondeur. Cet étrange volume abrite et révèle ce qui auparavant était vide, un espace fantôme caché derrière un masque.
Où la fantaisie affleure
La transformation du bâtiment principal, classé monument historique, pourrait presque passer inaperçue tant elle se joue dans les détails. L'intervention est minimale, quasi superficielle. Elle suffit cependant à changer la perception du bâtiment, comme une fleur à la boutonnière d'un uniforme.
D’origine, toutes les fenêtres du rez-de-chaussée sont surplombées par un motif de briques en relief, extrait de la croix chrétienne qui apparaît au-dessus de l’entrée principale du bâtiment. Ce motif est repris en briques vernissées noires et distribué de façon aléatoire sur toute la surface en brique de la façade. Leur disposition fantaisiste, déjouant le symbolisme religieux de la croix, rappelle la dissémination du pollen par le vent ou une nuée d’hirondelles en partance pour de lointains paysages.
Pour donner de la cohérence à l’ensemble, les ébrasements des fenêtres de toute la résidence sont peints de différentes teintes de gris. Elles créent un rythme coloré, soulignent les yeux de l’armure et accrochent l’œil de celui qui passe rapidement dans la rue.
En plus d’alléger le bâtiment à l’architecture de caserne, austère et massive, ces ornements inscrivent en douceur la façade dans la tradition architecturale d’habitation locale, où les maisons en briques, au premier abord toutes semblables, se distinguent par de petites notes de couleur (touches de piano en briques, céramiques, mosaïques…) ou par des volumes en saillie (bow-windows, lambrequins, appuis de fenêtres…).
Lumière en perspective
La structure, les planchers et l’isolation du bâtiment ont été renforcés afin de fournir les garanties nécessaires aux logements en termes de solidité et de performance énergétique. Pour réduire les coûts liés au chauffage et apporter un meilleur confort de vie, les hauteurs sous plafonds ont été abaissées, excepté au niveau des baies, pour garder un maximum de luminosité.
L’orientation Nord-Sud du bâtiment a poussé les architectes à imaginer une alternative au couloir central de distribution, qui aurait créé des appartements mono-orientés. La création de circulations extérieures à l’arrière du bâtiment a permis de réaliser des logements traversants, bénéficiant tous d’un ensoleillement idéal. La cage d’escaliers centrale existante a été transformée en espace extérieur, une circulation verticale décloisonnée. Elle donne aujourd’hui sur une coursive métallique, où s’ouvrent les portes des appartements.
Selon leur orientation et le point de vue, les panneaux de métal déployé utilisé pour les garde-corps – comme pour la façade – offrent une perception différente, qui vient déjouer l’horizontalité implacable du bâtiment. Des bandes de couleur verticales, grises, blanches et vert pomme contribuent à la recherche d’un rythme nouveau. A l’usage, grâce à la position surplombante de la rue et l’espace ouvert par l’ancienne cours d’école, les coursives offrent un beau point de vue sur le quartier et s’avèrent un espace d’échange entre voisins. Comme des balcons partagés, les circulations extérieures acquièrent des fonctions que n’auraient pas eues des couloirs fermés et améliorent la qualité de vie des habitants.
« Elle voyait une façade en brique inondée de lumière corail, plus ou moins embrasée de lumière, et la brique paraissait révélée comme seule la lumière révèle une chose – c'est une argile cuite d'une beauté plus intense qu'elle n'avait jamais pensé à le remarquer. »
Don DeLillo, Outremonde, Acte Sud, p. 423