Céline
Luchet
Rédactrice,
auteur
et un peu critique
Carte blanche à Pascal Favrel dans un rôle de commissaire, l’exposition monde flottant a eu lieu à la Vitrine du 8 juin au 4 juillet 2009. Début septembre, je prends un café avec Pascal Favrel. Entre temps il y a eu l’été, d’autres projets mûrissent déjà, mais nous voulons encore parler de monde flottant. Nous nous regardons un peu, presque timides, loin de nos sentiers habituels. Je lis à Pascal les quelques notes que j’ai prises, pour lui suggérer des axes de discussion. Il secoue la tête en signe de protestation quand je parle de la loi du mur et de casa mentale, où il a aussi montré ses qualités d’agenceur d’art. D’accord, laissons ça de côté.
Parlons vraiment de la Vitrine, alors. De son espace réduit. De son intimité. Pascal se détend, allume un cigarillo à la vanille. « Ah oui, l’intimité, c’était recherché. » Il me parle de cabinet de curiosités. Je tique un peu. J’imagine ça comme un lieu plutôt sombre, où des objets, d’art ou pas, prennent la poussière dans le désordre. Loin, donc, de monde flottant, un aquarium baigné de lumière, où les pièces sont certes hétéroclites, mais où tout semble être réfléchi au millimètre près, où une si belle place est accordée au vide, entre aérien et liquide. Pascal s’explique. Un cabinet de curiosités, au sens où des relations entre les œuvres peuvent être mises en évidence, par des contingences inhabituelles. « J’aurais aimé y mettre des objets aussi, je ne sais pas, peut-être un crâne, ça m’aurait plu... mais ce n’était pas tellement le propos... » Le cabinet de curiosités, encore, pour la création d’une collection imaginaire. Les œuvres ont toutes des origines très différentes. Les pièces sont à la fois autonomes, et génèrent du dialogue entre elles. « Ce qui m’importait, c’était d’être au service de l’œuvre et de l’artiste. De ne surtout pas dévoyer l’artiste. En quelque sorte, d’augmenter son travail, dans une situation qu’il n’aurait pas imaginée. » Frédéric Vaësen n’aurait peut-être pas mis son tondo aussi haut. La fleur, une pensée vaporeuse, fondue dans la matière, surplombe la pièce, au dessus de la céramique émaillée de Bruno Dumont, brillante comme du chrome. « Cette pièce, je l’ai placée à cette hauteur pour qu’elle soit comme une ligne de flottaison... Tu as remarqué ? »
A l’évocation de la ligne de flottaison, Pascal se fait presque sursauter lui-même. « Tiens, d’ailleurs, il faut qu’on parle du concept de monde flottant ! Tu vois ce que c’est ? » Je secoue la tête. « C’est une thématique japonaise, je pourrais t’en parler un peu, mais peut-être que tu devrais chercher par toi-même... La signification de départ, c’est le monde de la nuit, la déliquescence, la distraction... C’est assez complexe. Enfin, tu devrais lire des trucs sur le sujet, tu comprendrais mieux. » Je note, vaguement ennuyée à l’idée de devoir travailler.
Pascal revient sur la céramique chromée, réfléchie par la branche de prunier en fleurs de Grégoire Motte. « J’ai réglé l’accrochage à partir de cette ligne... Et aussi de la photo de Richard Baron. Tu vois où elle était ? Quand on entre, sur la droite. C’est un homme dans un clair obscur, il y a un déséquilibre. La photo est venue aussi pour créer une circulation, elle annonce la suite. A partir de là, tout se déroulait, l’installation de Grégoire [Motte], les deux verres graphités de Marie Vilcot... Comme la vague d’Hokusai qui était sur le flyer ! Tu te souviens, tu as vu le flyer ? » J’acquiesce, mais Pascal fait mine de fouiller dans son sac, semblant oublier que son exposition est finie depuis deux mois, et qu’il n’y a plus lieu de transporter des cartons d’invitation. Il revient vite à lui et poursuit. « La vague grossit et s’alimente par elle-même. Une pièce en alimente une autre, puis une autre... J’ai voulu une cohérence globale. Un monde en soi. Mais pas fermé sur lui-même. »
Nous commandons un autre café. J’aborde la question du choix des œuvres. « Ce sont toutes des pièces qui m’ont marqué personnellement. Que j’ai vues, et auxquelles je repense souvent. Pas par rapport à une histoire de l’art... » Pascal cherche un adjectif. Je lui propose « universelle », il hésite, oui, non, pas tout à fait, tant pis et poursuit. « Ce sont des artistes de milieux différents, qui n’ont pas forcément l’habitude de se côtoyer. Il y a par exemple cette pièce de Marie Vilcot, qui ne produit plus, ni n’expose plus. Et à côté d’elle, Qubo Gas, qui eux sont tout au contraire dans une certaine profusion, très actifs... » Toutes les pièces portent et diffusent cette idée de flottement. La profondeur du regard dans les dessins de Stéphane Benault. Le vague souvenir japonais de Grégoire Motte. Les méduses en dentelle de Qubo Gas. Le corps adulescent en photo sur le multiple de Jack Pierson, un « entre deux âges, à la fois minimal et construit, mais chargé d’affectif ». Pascal parle avec tendresse de toutes ces pièces.
J’évoque la sculpture de Stéphane Cauchy. Pascal s’emballe. « Alors ça, c’est fou... C’était la seule œuvre de commande. Et elle fonctionne parfaitement. » La pièce est un miroir d’eau tournant, qui met en abîme toute l’exposition. Les reflets des autres pièces s’y rencontrent, et l’effet d’heureuses contingences s’y trouve encore multiplié. « A la fois, c’est une autre dimension, mais c’est aussi un jeu formel. » L’espace de la Vitrine permet une lisibilité totale, où l’on peut tout appréhender d’un seul regard. S’approprier un monde, se reconnaître dans celui d’un autre, partager de l’intime autour d’une œuvre.
Comme pour rire, une heure a passé. Pascal regarde sa montre, désolé de devoir partir. « Je ne sais pas, moi, qu’est- ce que tu veux que je te dise d’autre ? On en reparlera si tu veux... » Nous rassemblons nos affaires et partons chacun de notre côté. Dans ma tête, je note encore quelques mots. Apparition, voyage, profondeur, entre-deux.