Céline
Luchet
Rédactrice,
auteur
et un peu critique
Dix ans après, l’architecte Antoine Lefebvre revient sur un projet qui a marqué un tournant dans sa pratique architecturale : la restructuration d’une petite maison, annexe à un hôtel particulier dans le Vieux-Lille, pour y réaliser une suite en duplex. Matérialité, fonctionnalité et composition de l’espace traduisent les inspirations japonaises de l’architecte, dans une réalisation à l’élégance brute et intemporelle.
Une destination dans la maison
Sur la rue, c’est une façade étroite, occupée par une porte cochère surmontée de deux niveaux. A cet emplacement, il existait autrefois un passage entre deux bâtiments, permettant de rejoindre la maison de maître abritée en coeur d’îlot. Au XIXe siècle, le passage est couvert et deux niveaux sont construits en surplomb, accessibles uniquement depuis la maison principale, grâce à un couloir superposé au passage couvert. Le volume est isolé du foyer familial, en front de rue mais sans accès indépendant. Pour les propriétaires, cette situation un peu paradoxale se prêtait bien à l’aménagement d’une chambre d’amis. Le voyage vers cet ailleurs surprenant débute dans le long couloir en R+1.
Nouvelle distribution, nouveau programme
Les premières interventions consistent à effondrer le plancher et tous les cloisonnements existants, pour ouvrir un volume unitaire à réinvestir. Les deux fenêtres en façade sont remplacées par une unique baie verticale, apportant le maximum de lumière. Le couloir, démoli et reconstruit, est restructuré pour améliorer l’accès à la suite. La maison étant située en secteur sauvegardé du Vieux-Lille, les modifications donnant sur l’extérieur font l’objet d’un permis de construire déposé par un architecte du patrimoine, en concertation avec Antoine Lefebvre.
Une fois le volume primaire mis à nu par l’abattage de la dalle du 2e niveau, une nouvelle structure bois est ajoutée pour accueillir la programmation sans trop peser sur le plancher du 1er niveau. Des toilettes derrière une porte-miroir coulissante, un dressing, une salle de bain, une pièce de vie en double hauteur et une chambre en mezzanine, au-dessus du bloc sanitaire. Les marches et les décrochés de plafond suffisent à qualifier subtilement l’espace et contenir les différentes fonctions sur une surface très réduite, d’environ 2,60 m par 8,30 m.
La matérialité : bois brut
L’ensemble du projet a été réalisé en mélèze massif, choisi pour sa résistance et sa légèreté. S’agissant d’une matière vivante, le travail du bois massif demande une connaissance fine du matériau et un savoir-faire particulier dans l’assemblage, la contrainte ou l’acceptation du mouvement. L’architecte et le menuisier définissent ensemble ce qui peut bouger dans le temps pour donner du caractère à l’ouvrage, ou ce qui, au contraire, ne doit surtout pas vriller.
C’est ainsi une grande émotion de revenir dix ans après la réalisation et de constater, Ô Joie, que les portes de la salle de bain et du dressing, assemblées sans serrurerie, coulissent encore parfaitement. Que les menuiseries se sont très légèrement teintées de miel. Que les lattes du plafond du couloir ont légèrement tuilé, que çà et là des gerçures apparaissent. Là où d’autres matériaux se seraient dégradés, le temps, travaillant avec le vivant, a ajouté un charme vernaculaire à cet intérieur soigné et chaleureux.
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